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Par dalayer le 15 Novembre 2006 à 07:53
EPILOGUE : LA MORT<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p></o:p>
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Derniers entretiens<o:p></o:p>
Elle a survécu. Elle nest certes pas dans une grande forme mais maccueille avec toute la chaleur dont elle est encore capable. Nous avons bientôt terminé, nest-ce pas ? Comment lui dire que le genre de réflexions que nous avons menées nest jamais terminé ? Que la quête dune vérité nest dabord jamais emplie de certitudes et quensuite et surtout, toute explication débouche inévitablement sur de nouvelles interrogations ? Je lui ai fait cours, en quelque sorte, mettant ainsi de lordre dans des idées que je ruminais depuis longtemps. Mais dans le plus total chaos Et, depuis, de nouveaux « blancs » sont apparus, contredisant parfois celles de mes théories que je croyais les plus arrêtées. Ainsi mon jugement sur elle nest-il plus si négatif quau début, mettant à bas ce que je pensais jusqualors de largent et de lintelligence (deux concepts que je croyais opposés). Oui, cest bientôt fini : vous entendrez la fin avant de décéder, je vous le promets ! Madame Florin ébauche un sourire amical Mais, subitement, ses yeux se font plus perçants, moins larmoyants : jai besoin que vous développiez vos arguments sur lauto reproduction des élites. Car je ne suis pas daccord à priori : les dirigeants politiques sont élus tandis que la plupart des dirigeants dentreprise sont recrutés hors tout népotisme, ce qui nétait pas le cas autrefois <o:p></o:p>
- Pas de problème. Voyons dabord les dirigeants politiques : ils sont aujourdhui tous issus dun grand parti au sein duquel sont étudiées les « candidatures à la candidature ». Il existe même des « primaires » institutionnelles aux Etats Unis. Le hic, car il y en a un, et de taille, est que ne peuvent réellement prétendre à la « candidature à la candidature » que des « hiérarques », autrement dit des gens du sérail. Des sénateurs exclusivement aux Etats Unis, des technocrates aujourdhui chez nous. Lesquels simposent même en province où, il ny a guère, officiaient pourtant de nombreux « notables » Les autres, ignorés par les médias, nont aucune chance de lemporter. Le phénomène est amplifié du fait de largent lors des élections finales. Ne peuvent ici gagner que ceux qui disposent de lassistance dun grand parti, capable daller chercher pour eux cet argent des affiches, des encarts médiatiques, de la location de salles, etc. Les campagnes électorales modernes sont dimmenses shows itinérants qui coûtent les yeux de la tête. Et, là encore, le pezzouille de base qui se lance seul dans la course na aucune chance, quand bien même les médias parleraient de lui : voir la candidature Coluche lors des présidentielles de 1988. Son plus haut score dans les sondages fut 16% et il se retira sous la pression du parti socialiste qui voyait seffriter par trop son électorat : il naurait pas gagné mais il aurait risqué de faire battre Mitterrand <o:p></o:p>
- Il nempêche que les hiérarques, comme vous dites, ne sauto reproduisent pas <o:p></o:p>
- Si, de plus en plus. Voir la famille Bush à laquelle succédera peut-être Hilary Clinton, ou bien les Mitterrand, père et fils Mais le plus gros de lauto reproduction nest pas dans la filiation de sang : je vous ai expliqué que les élites modernes vivaient dans le consensus. Si bien que tout nouvel élu ressemble comme un clone à son prédécesseur, au point que les Français narrivent plus à différencier un Jospin dun Juppé et que nos politiques économiques peuvent être menées par un socialiste ou par un chiraquien sans quune virgule seulement change entre les deux gestions. A ce consensus sajoute, vous ai-je dit aussi, le fait que les grandes écoles sont de plus en plus farcies de fils danciens élèves des mêmes écoles. Si ce nest pas de lautoreproduction, quest-ce ?! Passons à présent aux patrons des grandes entreprises : dans le public, ils sont désignés par le pouvoir exécutif. Une cooptation de technocrates, en fait. Dans le privé, ils sont nommés par des conseils dadministration eux-mêmes issus dassemblées générales dans lesquelles les banques, détentrices des pouvoirs des sicav et autres fonds de placement, font la loi. Les patrons des banques sont bien entendu et depuis belle lurette des hiérarques eux-mêmes et nommeront prioritairement des gens qui leur ressemblent à la tête des entreprises quils contrôlent de fait. Tout cela au sein dun univers darrivistes où tout est pesé par tous, les services rendus comme les coups tordus : il ny a guère de place pour les autres, de toute évidence, dans ce système de renvois dascenseurs ! Lère des grands nombres sociaux met toutefois et déjà à mal ce système : aux Etats Unis, des « petits » nhésitent pas à faire campagne contre les dirigeants dentreprises dont ils napprouvent pas la gestion. Et, de fait, pas mal de ces dirigeants ont eu, ces dernières années, la désagréable surprise dêtre « débarqués » en assemblée générale par une majorité de petits venant apporter leurs voix à leurs opposants plus institutionnels. Ils ont réagi, bien sûr, pour se protéger : en faisant entrer plus de fonds bancaires dans le capital et en risquant alors dêtre débarqués par des patrons de fonds de pension. Mais on peut négocier avec ces fonds de pension, notamment de confortables indemnités de licenciement, alors quil est beaucoup plus difficile dobtenir des avantages similaires de la part dune AG remplie de « fous furieux », CQFD ! <o:p></o:p>
- Ces fous furieux mont aidé jadis à virer (le nom quelle donne me fait sursauter).<o:p></o:p>
- Ah !, cétait vous ! Pas mal En tous cas, vous voyez que la tête des entreprises dimportance est tenue de mains fermes par des gens « du sérail », même si les gueux ont commencé à se rebeller aussi dans ce domaine. Passons à présent aux médias.<o:p></o:p>
- Ce nest pas la peine : vous mavez déjà expliqué le processus, de même que vous mavez dit tout le mal que vous pensiez du pouvoir judiciaire <o:p></o:p>
- Mais pas sous langle de lauto reproduction. Mais peu importe, passons. Jen viens donc à ma conclusion sur cette lutte constante, depuis des siècles, entre la plèbe et les élites, avec deux remarques : la première a trait au pouvoir réel des élites qui ne cesse de se réduire <o:p></o:p>
- Bush et ses amis ont pu quand même déclarer une guerre inique !<o:p></o:p>
- A un pays quils pensaient pouvoir écraser en quelques mois. Auraient-ils pu lancer leurs troupes contre un ennemi de plus grande envergure ? Jen doute, leur opinion publique ne laurait pas permis. Autrement dit, les gueux rendus agressifs par le terrorisme et une manipulation médiatique sans précédent ont accepté une nième « politique de la canonnière », très probablement auraient-ils revus leurs prétentions à la baisse sil sétait agi, dentrée, dun second Vietnam Mais pensez aussi aux dirigeants politiques européens, tenus par les directives de Bruxelles quils ont dailleurs eux-mêmes contribué à mettre en place, et, plus généralement, au poids croissant des sondages dans leurs décisions : leur réélection est tellement importante à leurs yeux quils nosent absolument pas aller à lencontre dun sentiment public supposé <o:p></o:p>
- Pourquoi supposé ?<o:p></o:p>
- Parce quun sondage nest pas un vote et quon peut aussi manipuler les sondages. Mais je ne retiens de ces sondages et pour ma part que la trouille quils inspirent à nos élites : elles savent bien, elles, que la piétaille progresse et veulent à tous prix éviter de mettre cette piétaille de mauvaise humeur. <o:p></o:p>
- Ok, jai compris. Votre deuxième argument ?<o:p></o:p>
- Il sagit ici de la réaction de la dite piétaille face à la fermeture de « lascenseur social » : en ordre totalement dispersé, les gens ont commencé à agir directement. Dans des associations, en écrivant aux journaux, en protégeant outre mesure leur sphère personnelle, ce quon appelle entre élites le « communautarisme », en boycottant qui, des industries qui ne respectent pas lenvironnement, qui des investisseurs dans des pays anti-démocratiques, qui des médias qui leur mentent Vous ne pouvez pas imaginer le niveau de ces réactions civiques dont personne, bien entendu, ne vous parle !<o:p></o:p>
- Avez vous des exemples concrets ?<o:p></o:p>
- Bien sûr : les dirigeants de nos télévisions, vous disais-je il y a quelques jours, confondent grand public et vulgarité. Ils imposent donc des merdes du type « La ferme célébrités », si je ne me trompe pas sur le nom je ne regarde pas ce type démissions- qui, affirment-ils aux annonceurs, « font un tabac ». Et de montrer, en guise de preuve de cette réussite, des « taux découte » de 40 et 50%. En oubliant de préciser que ces taux soi-disant astronomiques ne recouvrent plus que 4 ou 5 millions de téléspectateurs contre le double quelques années plus tôt : cest à une dégringolade globale de laudimat quon assiste en fait, mais lon continue à vous faire croire que les Français sont toujours des veaux puisquils se délectent de ces émissions absconnes Dans la réalité, ils louent des DVD ou font autre chose que regarder la télévision. Mais le consensus est, très provisoirement, le plus fort : les annonceurs ne bougent pas, leurs agences non plus, et les médias peuvent continuer à agir en fonction de leurs seuls desiderata. Ca ne tiendra pas longtemps, si vous voulez mon avis <o:p></o:p>
- Non. Car, si vous avez raison, les financiers de mon espèce naccepterons pas de telles pertes dargent à répétition. Surtout quand la rentabilité descend en dessous de 10% : nous navons alors et en général aucun état dâme <o:p></o:p>
- Lère des grands nombres Jaime ! <o:p></o:p>
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A ce moment, un téléphone sonne. La milliardaire sort un combiné sans fil de sous sa couverture et appuie sur un bouton : je découvre ainsi la ligne directe de la dame dont très peu de gens, je le suppose, ont le numéro. Je me lève pour sortir, mais la dame, dun geste, me demande de rester. De quelle participation sagit-il ? Les actions baissent ? Et alors ?! Il vous a demandé daugmenter notre part du capital et de tenir la position, vous la tenez Je me fous de vos états dâme ! Un service que me demanderait le ministre des Affaires étrangères ? Ai-je jamais décidé de vendre ou dacheter des actions en fonction du souhait dun ministre ! Je les emmerde, vos ministres ! Une menace ? Alors dites lui que mon héritier aura en mains, dès que nous aurons terminé cette conversation, toutes les preuves des « indélicatesses » de votre ministre : et que celui-ci na quune solution dans cette affaire, fermer sa gueule Une affaire dEtat ? Quelle affaire dEtat ! Vous nallez pas me faire croire que le soutien que nous apportons à une entreprise sud africaine non stratégique menace la France ! Elle a piqué un marché en Algérie à un ami du ministre ? Ah ! Pas en Algérie, au Maroc. Et après ? Passez le moi, votre ministre <o:p></o:p>
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Madame Florin écarte le combiné de son oreille et me regarde en me faisant un clin dil :
- Vous avez compris, je suppose, ce dont il sagit ?
- Bien sûr : de ma décision de porter à 40% notre participation dans la start up du Cap. Ca déplait visiblement au gouvernement français <o:p></o:p>
- Pas au gouvernement : au ministre des Finances seulement qui doit, très certainement, avoir une dette envers un concurrent français de cette start up. Mais attendons dinterroger le ministre <o:p></o:p>
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Nous attendons ainsi dix bonnes minutes avant que le bonhomme se manifeste. La vieille dame part immédiatement à lassaut : je nai pas lhabitude dattendre Si vous le prenez comme ça, sachez que, dans les minutes qui suivent, un coursier partira au Canard Enchaîné avec la copie des papiers que vous savez Comme vous le voudrez, Adieu ! Et la dame, apparemment ragaillardie par lincident, raccroche en me faisant un second clin dil : je lui laisse 30 secondes Il ne sécoule pas 15 secondes avant que le téléphone ne sonne à nouveau : Allo ? Mais il ny a aucune ambiguïté, Cher Monsieur : je vous ai clairement menacé, vous mavez quasiment injurié, je suis en train de mettre mes menaces à exécution. Tenez, le pli pour le Canard est déjà sous enveloppe Oh !, si ! Je vous ai parfaitement compris, vous ne voulez pas mettre la politique de la France en danger à cause dune vieille folle Vous navez pas utilisé le terme « folle » mais ça revenait au même. Quant à votre politique de la France, vous pouvez vous asseoir dessus : cest la politique de vos financiers de campagne que vous défendez. Je crois dailleurs que je vais en toucher un mot à votre patron Ce que je veux ? Des excuses à plat ventre dabord Je nentends pas bien Ah ! Cest mieux ainsi. Répétez lentement sil vous plait, je tiens à vous humilier autant que vous lavez fait La mourante est dune cruauté sans égal à ma connaissance. Il sagit toutefois dun énarque et ça ne me fait ni chaud ni froid : dune part ces gens là savent, quasiment dès lenfance, avaler des couleuvres ; dautre part, ils en font avaler pas mal aux gens quils dominent. Mais savoir quun grand ministre de la République est au bout du fil, transpirant et prêt à toutes les bassesses pour calmer un témoin gênant de ses turpitudes est revigorant ! Je sais toutefois que Madame Florin va devoir lâcher quelque chose en contrepartie et, davance, je plains ces pauvres Sud africains qui se croient, depuis mon intervention, à labri des pépins boursiers.
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La vieille dame métonne à nouveau : non seulement elle ne « lâche » rien, mais elle se permet dexiger en outre une intervention du ministre dans une autre affaire, une histoire de marchés truqués dans laquelle est impliquée une entreprise sous son contrôle. Au fil de lentretien, le ministre comprend toutefois que la perte, de toute évidence, du soutien financier du concurrent de « ma » start up, sera largement compensée par le soutien de Géraldine. Quel con ! Ne sait-il pas quelle est mourante ? Règle numéro un, commente la vieille dame après avoir raccroché, ne jamais baisser sa garde : entre prédateurs, le plus faible na aucune chance. Et ces gens nont pas latome dun sentiment. Si javais été ne serait-ce quun peu aimable, le bonhomme maurait forcé à lâcher vos Sud Africains, à lui promettre un soutien lors des prochaines élections et, probablement, à lui faire un autre cadeau dans un autre domaine. Ce, alors que jai toutes les cartes en mains Elle mexplique quelle sest de fait employée, à coups de dizaines de millions deuros, à obtenir des informations « confidentielles » sur à peu près tous les dirigeants qui comptent en France, ses dossiers lui permettant dêtre invulnérable depuis maintenant plusieurs décennies. Je pensais que cétait lapanage des ministres de lIntérieur, ce genre de sport ?, lui dis-je. A qui croyez vous que sont allés les millions deuros que jai dépensés ?, me répond elle Quel monde ! Et dire que jai failli, un temps, accepter den faire partie Les zigotos qui nous dirigent mauraient-ils seulement laissé vivre si javais accepté lhéritage ? Je me souviens à cet égard du sort réservé à feu Bokassa par son « ami » Giscard dEstaing : un traitement digne des lettres de cachet du 18e siècle, avec les moyens du 20e siècle Et toutes ces barbouzes fouillant le « château » de lempereur centrafricain, à la recherche du moindre papier pouvant prouver les compromissions du président français Sachant que, depuis, nos élites ne se sont pas vraiment civilisées, je naurais eu aucune chance de men tirer. Ou alors comme une sorte dhomme de paille à leurs ordres. Vivez dans le luxe et faites ce quon vous dit de faire ! Madame Florin, elle, avait pu dominer cette engeance en étant plus « requin » que ces squales, plus méchante et plus dure. Je navais pas sa stature
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Nous reprenons notre entretien comme sil ne sétait rien passé :
- Où en étions nous, cher ami ?
- A linanité des luttes pour le pouvoir : les élites en ont de moins en moins tandis que, vous ais-je dit précédemment, les gueux disposent en gros, dans nos pays riches, des mêmes biens matériels que les élites mais sans les emmerdements des élites. Le monde développé évolue ainsi sous le poids croissant de la loi des grands nombres. Savez-vous que, dans ma jeunesse déjà, javais eu le pressentiment de cette évolution ?<o:p></o:p>
- Non, mais vous allez me raconter <o:p></o:p>
- Jai « commis » un livre de science fiction, jamais publié, dans lequel les humains tiraient au sort pour savoir qui allait commander, une fonction franchement pas recherchée dans mon histoire. La personne qui sy collait se voyait affublée dune sorte de « boîte noire » recueillant les pensées profondes des autres sur tous les sujets à débat et navait plus quà indiquer la synthèse, la décision collective en fait, que lui « crachait » la dite boîte noire. <o:p></o:p>
- Vous étiez déjà anarchiste ! Mais pourquoi votre livre ne fut-il jamais publié ?<o:p></o:p>
- Parce que je nai jamais cherché déditeur : cétait juste pour moi, comme un prurit <o:p></o:p>
- Vous avez eu beaucoup de prurits ?<o:p></o:p>
- Pas mal : des nouvelles, un essai sur le déterminisme <o:p></o:p>
- Quelle était votre conclusion ?<o:p></o:p>
- Que nous, les humains, bâtissions peu à peu notre indépendance vis-à-vis des Dieux.<o:p></o:p>
- Comment cela ?<o:p></o:p>
- En résumé, notre avenir est déterminé par notre louvoiement entre des « improbables » et des « possibles » : un vieillard ne battra pas un jeune au tennis. Cest improbable. Mais il peut soit mourir dune crise cardiaque, soit abandonner avant : voici deux avenirs physique possibles pour ce vieillard dont le déterminisme est marqué de toute évidence par lintrépidité. Mais, progressivement, nous retardons lâge de limpotence et il est possible alors quun jour, un vieillard batte un jeune au tennis. Cest très grossièrement résumé car reste le déterminisme de son intrépidité, le facteur intellectuel le plus difficile à maîtriser. Nous pouvons toutefois y arriver, surtout collectivement.<o:p></o:p>
- Expliquez-vous.<o:p></o:p>
- Prenez le cas de la guerre qui vous interpelle tant.<o:p></o:p>
- Cest vrai, ça me rend malade <o:p></o:p>
- Notre déterminisme est ici notre culture de lagressivité. Dominer son agressivité individuellement nest pas aisé. Il faut suivre de nombreuses séances de psychothérapie et recourir éventuellement à la « camisole » chimique. A plusieurs, cest par contre bien plus facile : des discussions, des écrits, de la réflexion qui débouchent sur une sorte de « conscience collective » qui nous immunise, individuellement et hors les « cas sociaux », contre les actions agressives, considérées comme asociales. Nous pouvons éprouver des pulsions, mais nous arrivons à les contrôler. <o:p></o:p>
- Cest un peu ce que nous faisons, non ?<o:p></o:p>
- Les gueux, oui. Et presque inconsciemment. Les femmes, ici, jouent un grand rôle, comprenant instinctivement que le machisme qui les fait souffrir vient de lagressivité des mâles. Elles introduisent donc de plus en plus dinterdits dans notre vie, interdits qui, progressivement, inhibent partiellement cette agressivité. Mais les élites, non, mille fois non ! La culture de la compétition est leur fondement. Comment voulez-vous quelles puissent prôner des comportements non agressifs ? Le feraient-elles dailleurs quelles ne seraient pas crédibles : lexemple est, en la matière, bien plus important que le discours. Et les exemples que ces élites nous donnent sont à chier, si vous voulez bien me passer cette expression.
- Je vous « la passe », comme je vous ai passé toutes les « expressions » que vous avez jusque là employées. Jobserve dailleurs que vous utilisez généralement un langage peu populaire : comment se fait-il alors que, par ailleurs, vous prônez la libération de la plèbe de la férule de ses élites ?
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Est-ce maintenant la fin ? La malade est partie sur des sentiers qui lui sont propres, quittant mes perspectives historico philosophiques. Je mapproche delle :
- Parce que je nai jamais crû et me refuse à croire que les gueux sont voués à une sous-culture. Pour résumer, quils préfèrent aujourdhui la variété à la grande musique peut me chagriner au premier abord. Mais, au second, je réalise que, ce faisant, ils rejettent aussi, par boycott, tout ce qui leur rappelle lélitisme. La veulerie des élites semble par ailleurs les enfermer dans labominable, les « Ile de la tentation » et autres « Ferme célébrités ». Mais je vous ai expliqué que la réalité, celle quon ne vous dit pas, est toute autre : la moitié au moins des anciens téléspectateurs a quitté les ondes Bref, je continue à croire en la « revanche des gueux » dont la dynamique dépasse, de très loin, mes capacités danalyse. Pourquoi, dans ces conditions, changer le style de mon discours ? Pourquoi, par exemple, memmerder à transposer mes pensées dans un roman érotico policier au seul objectif de vendre ? Cest du marketing de bas étage, ça. Car mon discours ne peut que se perdre dans la transposition, quelques dialogues dans un océan de stupre ! Je nai que la volonté de vous convaincre, pas celle de vendre des millions dexemplaires. Je suppose que si mon message convient à ce nouveau siècle, dautres sauront le reprendre de plus belle manière
- Vous manquez décidément dambition !<o:p></o:p>
- Nest-ce pas ? Mais revenons à nos moutons si vous le voulez bien <o:p></o:p>
- Non : allez déjeuner <o:p></o:p>
- Vous mabandonnez une partie du peu de temps quil vous reste à vivre ?!<o:p></o:p>
- Oui. Je crois en fait arriver maintenant à bon port. Et jai besoin de solitude <o:p></o:p>
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Je descends donc aux cuisines où Danièle maccueille à bras ouverts : cest bien ce que vous faites ! Et puis, votre tirade sur le rôle des femmes par rapport à lagressivité des hommes ! Tenez, je vous embrasse ! En arrivant ce matin, et puisque cétait à mon tour de décider, javais commandé une araignée de mer suivie dun pigeon aux petits pois. Javais exigé que laraignée soit préparée selon mes normes, soit les pattes pré-cassées, le corps coupés en 4 morceaux et le contenu de la coque mélangé, à la fourchette, à de la moutarde, du sel, du poivre, du piment et un filet dhuile dolive. Nous mangeons cette préparation dans un silence recueilli, jusquaux derniers morceaux : la « merde » du crabe traitée comme je lai indiquée, étalée, tel du pâté, sur des tranches de pain grillé, frottées dail et dhuile dolive Un régal ! Le pigeon nest pas mal non plus, avec ses petits pois frais cuits sans eau juste deux cuillérées à soupe, mavoue Danièle- avec un cur de laitue, un oignon, un sucre, un bouquet garni et quelques lardons fumés. Les cosses nétaient pas fripées, mexplique la cuisinière. Les petits poids étaient donc parfaitement frais Pourquoi sert-on un très bon volatile, le pigeon, avec ces remarquables petits pois ? Le pigeon devient presque superflu Je limagine alors rôti avant dêtre mêlé à une sauce « champignons- poivre- crème fraîche » moins gustative. Je men ouvre à Danièle qui me répond instantanément : cest parce que votre recette de petits pois ne convient pas au pigeon. Il faut à ce petit volatile des petits pois quasi « neutres », tout juste salés, poivrés légèrement et sucrés. Et cest le mélange sucre-poivre qui, au travers des petits pois, fait ressortir le goût subtil du pigeon Lequel, pour exister dans votre palais, doit être confrontés à des goûts plus forts : la douceur de la chair de la bête nen ressort que plus vive Je suis daccord sur le remède, pas sur le diagnostique : pourquoi nos ancêtres ont-ils élaboré une recette mêlant deux goûts dominants ? Le petit pois, par lui-même, donne son nom à nimporte quelle recette. Parce quil domine. Tandis que le pigeon est trop fin pour survivre, dans le palais, à un tel traitement. Certes, quelques épices ou herbes peuvent en relever le goût, mais de tels ingrédients mélangés à des fèves dominatrices nen sont pas capables. Les Marocains, me souviens-je, ont associé le pigeon au miel : le sucre est-il donc la panacée ?
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Vous entrez dans la grande cuisine et dans limagination : je vous en félicite !, me gratifie Danièle sitôt connue ma réflexion. Je commence donc à concevoir lunivers des cuisiniers modernes, amenés à tout remettre en question : ils veulent dune part comprendre le cheminement de leurs ancêtres et, de lautre, laisser une trace dans lhistoire culinaire. Donc inventer. Avec une majorité de gens normaux, donc des recettes médiocres, et quelques génies, poursuit la cuisinière. Plus les médias, jajoute. Lesquels poussent les médiocres à faire nimporte quoi pour quon parle deux ! Qui est médiocre, en loccurrence ? Les chefs de cuisine fous ou les médias qui les portent au pinacle ? Cest Clément qui nous apporte un début de solution : vous attaquez longuement les élites dans vos entretien avec la patronne : nest-ce pas du fait de ces élites, principaux clients des grands restaurants, que sévissent les inventeurs fous ? Vous savez, passés une dizaine de repas chez Bocuse, on se lasse. Bocuse est donc bien obligé de changer sa carte. Danièle et moi lui objectons quil peut aussi puiser dans le répertoire existant, énorme en France. Mais ces gens ont tout essayé ou presque. Et puis le « répertoire existant », comme vous dites, sent bien trop sa « cuisine bourgeoise » pour plaire aux grands de ce monde. Il fallut un Chirac pour aimer passionnément la tête de veau. Mitterrand, lui, appréciait les ortolans, un oiseau que ni vous, ni moi, ne mangerons jamais. Pour complaire aux foules, nos élites disent aux journaux qui ne vérifient jamais- quils aiment le choux farcis ou la potée auvergnate : je suis bien certain quelles nen ont mangé quune ou deux fois dans leur vie. Le reste du temps, elles « diététisent » chèrement à domicile ou posent leurs culs malpropres sur les chaises dorées des trois étoiles Michelin. Pour elles, le poisson au chocolat est un passe-temps amusant, donc médiatisable <o:p></o:p>
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Clément donne du grain à moudre à ma théorie sur la revanche des gueux : hors quelques militants passionnés, personne naime les élites, de gauche comme de droite. On fait avec parce quon na pas dautre choix, me disent, désabusés, Danièle et Clément. De toute façon, cest blanc bonnet et bonnet blanc : tous ces gus se sucrent sur notre dos et se moquent pas mal de notre sort Pourquoi, alors, continuent-ils à voter pour les uns et pour les autres ? Parce que le droit de vote est notre conquête. Nous éliminons plus que nous ne choisissons, mais nous votons ! Décidément, la désignation de candidats crédibles est le « nud » de la véritable démocratie, parodie aujourdhui plus quaccomplissement. Je leur suggère dentrer en masse dans les partis politiques : ça ne sert à rien. Tout est verrouillé dès le plus bas étage. Savez-vous à quoi ressemble une réunion politique de base ? Javoue que non, nayant jamais milité de ma vie. A un meeting : vous venez, vous vous asseyez et vous écoutez. Puis vous repartez Au passage, on vous rappelle que vous nêtes pas à jour de votre cotisation. Croyez-vous que les leaders payent leur cotisation à hauteur de la nôtre, cest-à-dire en fonction réelle de leurs revenus ?! Mais les élections internes ? Elles se multiplient Ouai Jai été inscrit dans le bled où jhabite. Un quartier populaire Lors de la désignation du candidat à la présidentielle, on a effectivement voté. Mais, auparavant, la direction locale « avait fait le ménage » : elle avait exclu un bon quart des militants qui navaient pas payé leurs cartes tout en gardant un bon autre quart dans le même cas- et fait entrer, par contre, tout un tas de gens inconnus, très probablement sympathisants du candidat à soutenir. Je suppose que, pour ceux-ci, les dirigeants ne furent pas très regardants quant au paiement des cotisations... Face à cette caricature de démocratie, je suis parti. Jai appris par la suite, via des amis qui étaient, eux, restés au parti, que la direction avait ajouté à ses magouilles préparatoires un « bourrage durnes » pas possible partout où les dépouillements nétaient pas contrôlés. Sans compter des « rectifications » au sommet et après dépouillement Bref, lélection interne fut une mascarade, mais présentée comme un modèle par une presse aux ordres. Car, in fine, le candidat du parti fut écrasé aux élections réelles : expliquez moi comment un parti majoritaire selon les sondages peut voir son candidat laminé alors quil a été désigné par une immense majorité des militants ? Il y a là quelque chose de plus que troublant Je reviens à nos moutons culinaires : admettons que nos nouveaux errements culinaires viennent de la clientèle, donc des élites. On devrait normalement voir pas mal de chefs lâcher ce mouvement pour sen tenir aux « canons » de la cuisine française Danièle me rappelle nos conversations précédentes, au cours desquelles, justement, nous avons relevé ce mouvement, soit le refus des guides au profit du plaisir.
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Le pigeon avalé, je remonte dans la chambre de Madame Florin que je trouve à nouveau dans le coma. Jai lhabitude, maintenant : jappelle le médecin, lequel « stabilise » létat de sa patiente avant de mavertir quelle vit ses derniers instants. Combien de temps ? Il ne sait pas. Souffre-t-elle ? Certainement pas Quelque chose linstinct ?- me dit que, cette fois-ci, cest vraiment la fin. Je reste donc à son chevet après avoir appelé Danièle et Clément, les deux autres personnes avec lesquelles elle a voulu terminer sa vie terrestre. Le temps ségraine dans le silence, nous sommes tous plongés dans nos pensées. Je revois ma rencontre avec la moribonde comme dans un film : le notaire, les E-mails, mes colères, ses manipulations Je narrive pas à résumer nos conversations, le travail intellectuel que cela demande mest trop difficile. Je me remémore par contre des anecdotes, telles mes incursions dans sa gestion patrimoniale ou bien la première image que jai eu du notaire, ce « jeune premier » tiré à quatre épingles Je noublie pas, bien sûr !, lépisode du ministre des Finances Le visage de la mourante est dun blanc de craie, sa respiration, dune lenteur à faire peur. Par moment, il me semble en outre quelle ne respire plus, comme si sa mort allait venir dun simple arrêt respiratoire. Mais cest le cur qui va lâcher, comme lavaient prédit le professeur Duboeuf : subitement, la vieille dame ouvre les yeux. Elle regarde droit devant elle, comme avant hier face à son fantôme : Etienne ! Etienne ! crie-t-elle en sourdine. Je lui prends la main. Elle la sert un peu puis plus rien. Jimagine plus que je nentends son dernier souffle expirer de ses lèvres. Elle reste là, les yeux grands ouverts, rigide, morte, après avoir prononcé par deux fois le nom de son enfant disparu. Danièle, qui sest levée, lui ferme les yeux
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Le testament
Je nai pas un instant à moi. Sitôt joint le notaire, celui-ci me donne plusieurs instructions : appeler lentreprise de pompes funèbres, prévenir lattachée de presse de la morte (japprends à cette occasion quelle payait un cabinet spécialisé), prévenir les banquiers (jai la liste) - sachant, me dit lhomme de loi, que ma procuration reste valable pour les dépenses courantes et pour lenterrement-, réunir le personnel pour les avertir, bref une série impressionnante de gens à mettre au courant et à rassurer. Cest important, me dit le notaire, il faut éviter que tout se précipite. Tout quoi ? Vous le verrez assez vite Dans limmédiat, je ne vois rien. Jinforme et je rassure comme je le peux. Qui va prendre la suite ?, me demandent la plupart des gens. Je ne sais pas, réponds-je en toute sincérité. Des heures passées au téléphone avant que je ne sois confronté au premier visiteur. Un député !, me susurre Clément. Qui est lhéritier ? Jen vois un autre, puis un autre, puis un autre, les uns politiciens, les autres affairistes. Nous devons organiser une sorte de queue depuis le hall dentrée jusquà la chambre, canaliser la venue des gens « informés » qui viennent vérifier que la redoutable Géraldine Florin est bien décédée. Lun dentre eux (un ministre, me dit Clément), me demande même si je sais ce que vont devenir ses « archives ». Elles sont en lieu sûr, ne puis-je mempêcher de rétorquer. Lhomme me regarde de travers, comme un insecte monstrueux tombé au beau milieu de son potage pardon !, de son « consommé ».
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Tout cela ne pouvait se terminer que par une visite tout se quil y a de légale des barbouzes : Police !, mintiment ces derniers. Nous avons un mandat de perquisition Heureusement, tous trois avons anticipé la chose : deux avocats réputés et un huissier assermenté nous assistent. Le notaire a bien voulu considérer ces dépenses comme « courantes ». De plus, nous filmons la scène. Si bien que la perquisition se passe sans trop de dégâts. Elle ne donne bien entendu aucun résultat : les papiers sont à létranger, ma prévenu le notaire. La police essaye une nouvelle fois de mettre la main sur les documents accumulés par la défunte, en tentant lintimidation : Commission rogatoire ! Nous devons vérifier que la morte na pas été victime dun meurtre. Ils veulent emmener le corps. Les avocats interviennent et font si peur aux pandores que ceux-ci renoncent. Jajoute aussi mon grain de sel : je pourrais peut-être retrouver inopinément un ou deux documents, les communiquer à la presse Le chef a sorti son portable et sest écarté. Puis il est revenu : excusez-nous, cétaient les ordres. Mais on vient de me donner le contre ordre. Nous partons Il me regarde avec crainte, comme si jétais toujours lhéritier de la vieille dame. Peut-on vivre face à des regards craintifs ? Il faut être pervers !
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Je ne suis pas sorti des pépins pour autant : tard le soir, Clément me tend le téléphone. Cest pour vous : la présidence Je prends le combiné avec circonspection :
- Oui ?
- Je suis conseiller du président.<o:p></o:p>
- Oui. Que puis-je faire pour vous ?<o:p></o:p>
- Vous êtes, ma-t-on dit, lhéritier de Madame Florin qui vient de mourir.<o:p></o:p>
- Vous êtes mal renseigné : jai renoncé à cet héritage <o:p></o:p>
- Pourtant, vous organisez bien les obsèques de la défunte.<o:p></o:p>
- Oui, par amitié et sur la lancée de nos relations. Mais ça sarrêtera là. <o:p></o:p>
- Qui dois-je alors contacter ?<o:p></o:p>
- Maître Maroil, je suppose, le notaire.<o:p></o:p>
- Cest déjà fait : il ma renvoyé vers vous.<o:p></o:p>
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Je suis interloqué : pourquoi André Maroil a-t-il dit une telle absurdité à un conseiller du président de la République française ? Il sait bien que je ne veux plus de cet héritage ! Je décide denvoyer paître limportun jusquà ce que jen sache plus :
- Désolé, mais la situation méchappe. Je ne peux rien vous dire avant den savoir davantage.
- Cependant, le président souhaiterait avoir des assurances.<o:p></o:p>
- Des assurances sur quoi ? Sur les documents que détenaient la défunte ? Jai décidé, pour ne pas prolonger inutilement la conversation, de ne pas jouer à lidiot du village <o:p></o:p>
- Précisément.<o:p></o:p>
- Le notaire ma prévenu quelle a laissé un testament : il faut attendre son ouverture pour savoir ce quil va advenir de ces documents. Peut-être a-t-elle dailleurs demandé à ses gardiens de les détruire ?<o:p></o:p>
- Mais vous avez passé tout votre temps à ses côtés : vous sauriez bien si tel avait été le cas <o:p></o:p>
- Détrompez vous : je ne discutais avec elle que quelques heures par jour. Et je ne lai suppléée dans ses affaires quà trois reprises. Tout le reste du temps, elle a continué à gérer directement ses affaires. Avec, notamment, sa ligne directe.<o:p></o:p>
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Lhomme ninsiste pas. Il me donne ses coordonnées téléphoniques et me demande de le rappeler, « dans lintérêt du pays », dès que jen saurais plus sur lhéritier final.
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Puis le jeu politique se calme, remplacé par celui des pleureurs et des pleureuses : dès que la presse a annoncé la mort de mon ex élève en supplément dâme, des myriades de « grands amis », de « vieilles connaissances », de « parents » même, la plupart « éloignés », quelques uns « proches », se manifestent. La sonnette de la porte cochère narrête pas dêtre actionnée. Dans le tas se présentent tous les redevables de la morte, conseillers en tous genres (je vois ainsi de près ceux quelle payaient plus de 2 000 euros/heure), banquiers (êtes vous lhéritier légal ?), assureurs, fournisseurs, hommes daffaires Epuisant ! Dautant que, si nous pouvons sans scrupule refouler les opportunistes, nous ne pouvons guère interdire aux habitués de la défunte de venir se recueillir sur son corps. Mais, comme je ne suis plus intéressé par son argent, je ne trouve aucun intérêt non plus au commerce de ces gens. Ils me fatiguent, un point cest tout ! Du coup, jai lair revêche et je lis à nouveau la crainte dans leurs regards Détestable à tous points de vue !
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Arrive enfin le notaire qui mavait prévenu ne pas pouvoir venir plus tôt : Madame Florin ma laissé une liste de choses à faire durgence dès lannonce de sa mort. Cest compliqué et long Nous sommes presque intimes à présent.
- Ca va, vous tenez le coup ?
- Je commence à en avoir franchement marre ! <o:p></o:p>
- Tenez bon, plus que quelques jours Quand lenterre-t-on ?<o:p></o:p>
- Demain après midi. Grande messe puis ballet de voitures jusquau cimetière. <o:p></o:p>
- Je vous propose donc de nous retrouver après demain matin pour louverture du testament.<o:p></o:p>
- Mais je ne suis plus de la partie.<o:p></o:p>
- Si : mes instructions sont douvrir le pli en votre seule présence.<o:p></o:p>
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Et merde ! Clément, à mes côtés, veut me dire quelque chose. Je le regarde dans lhébétement le plus total. Rassurez-vous : ce nest pas ce que vous croyez. Après votre choix de ne plus accepter lhéritage de Madame, celle-ci nous a dicté un testament pour assurer autrement sa succession. Je ne peux pas vous en dire plus, sinon que ses dispositions vont seulement vous embêter quelques temps encore. Après quoi, vous serez libre Le notaire regarde Clément comme sil le découvrait pour la première fois : Nous cacheriez-vous quelque chose ? Clément sourit : non. Danièle, la cuisinière, et moi, connaissons simplement le contenu du testament car celui-ci, pour être valide, devait être co-signé par deux témoins. Jajoute que cest Danièle qui la écrit sous la dictée de Madame. Il peut peut-être nous dévoiler maintenant son contenu ? Non. Madame a été formelle : nous devons attendre quelle ait vraiment disparu, et sous une dalle de marbre, et dans nos têtes. Car, nous a-t-elle dit, Monsieur il parle de moi- doit avoir lesprit totalement libéré, y compris de son ex élève, pour prendre les bonnes décisions <o:p></o:p>
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Nous allons dîner dehors, pour nous changer les idées. Nous emmenons Clément et la cuisinière avec nous. Cest Madame qui paye !, annonce le notaire. Je rentre chez moi en forme, nayant fait comme dhabitude que tremper mes lèvres dans les vins choisis par les trois autres. Lesquels ont quitté, eux, le restaurant en titubant. Dautant que le notaire avait choisi un endroit à la mode dont les spécialités ne dépassaient guère le niveau de terminal dun lycée hôtelier. Prétentieux, cher et plus que moyen : il ne restait que Bacchus pour remonter le moral des troupes ! Quoi quil en soit, je pu ainsi me reposer de la dure journée écoulée et me retrouvais frais le lendemain matin pour enterrer Géraldine. La journée ne fut quattente : attente des croque-morts, attente de la levée du corps, attente à léglise, attente au cimetière Madame Florin aurait détesté ! Tout juste la présence, tant dans léglise quau cimetière, dun nombre invraisemblable de « chaussures à clous » put elle me sortir du profond ennui dans lequel ma plongé ces attentes. Il ny eut, de mon point de vue, quun seul moment démotion : quand le cercueil fut descendu dans la fosse. Je pris conscience alors de la disparition définitive de la vieille dame, comme un souffle glacé sur mon cur Les autres, peu nombreux hors les pandores, eurent sans doute la même sensation car nous quittâmes silencieusement le cimetière <o:p></o:p>
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Clément mentraîne vers la voiture de Madame : venez dîner avec nous Jaccepte : je leur dois bien ça malgré lenvie énorme que jai de gommer cette journée de mon existence, donc de lécourter au maximum. Danièle et moi montons à larrière pour faire bisquer notre chauffeur. Qui se contente de sourire : faire le chauffeur ne me dérange pas. Je lai fait toute ma vie Mais jai toujours limpression de vous transporter sur ordre de Madame. Il faut du temps pour faire son deuil Danièle a anticipé notre venue : une poularde demi-deuil nous attend, agrémentée dun aïoli de légumes. De quoi nous rehausser le moral malgré, selon moi, lerreur qui consiste à mélanger deux sauces blanches, celle de la poularde et laïoli. Mais Danièle nen a cure : vous aimez ? Cest bon ? Alors ça me suffit Aurions-nous transmuté ? Cest en effet moi qui joue à présent au puriste !
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En fait, elle a voulu me faire plaisir tout en poursuivant notre débat : la poularde a en effet un goût subtile et fin tandis que laïoli, résolument provençal, « arrache la gueule » : lopposition de deux éléments et non la complémentarité. Je lui fais observer quen loccurrence, laïoli a une tendance certaine à impérialiser. Oui, mais la poularde plus le demi deuil adoucissent votre bouche. Cest un peu comme une douche écossaise Peu importe en fait, car je devine que ce dîner est un peu intéressé. Bon, dites moi tout !, dis-je pour les mettre à laise. Ils mexpliquent alors que la défunte ma laissé tout pouvoir sur son héritage, y compris celui de laccepter tout de même. Vous mauriez alors comme employeur Je comprends quen létat actuel des choses, ils préféreraient cela : quallons-nous devenir ? Je leur explique que, si jai tous les pouvoirs, jai aussi celui de scinder lhéritage et de leur faire des legs. Ils ne sont pas chauds : ça veut dire pour nous que nous partirons à la retraite. Or nous aimons ce que nous faisons Un restaurant, peut-être, à deux ? Mais ils y ont déjà réfléchi : beaucoup de travail à des heures impossibles et une rentabilité plus qualéatoire. Réfléchissons ! Jimpose un quart dheure de silence Cinq minutes plus tard, je bondis : jai trouvé ! Tous deux me questionnent avidement :
- Lidée me vient dAfrique : des cuisinières les hommes ne font pas la cuisine au sud du Sahara- vivent en préparant un plat, un seul, dans une grande marmite. Puis elles se mettent à un coin de rue passante et vendent des écuelles. En général, tout est parti en moins de deux heures
- Mais nous ne pouvons pas faire cela en France !, mobjectent-ils à juste titre.<o:p></o:p>
- Je suis daccord. Mais vous pouvez vendre votre plat quotidien comme des pizzas ou des sushi <o:p></o:p>
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Lidée leur plaît. Des parts de buf bourguignon ou de pommes de terre boulangères au lieu de pizzas réchauffées et de sushi desséchés leur paraissent vendables. Ils ne sinterrogent même pas sur les coûts : je suis là pour ça ! Je leur expose alors brièvement les nécessités du métier, les pub dans les boîtes aux lettres, les livreurs, les règles dhygiène et « tutti quanti » Mais vous allez rechercher un héritier. Nous supposons que vous vous déciderez pour un « pro ». Vous pourrez donc lobligez, en acceptant lhéritage, à acceptez un « deal » avec nous Banco ! Je leur promets dinclure leur nouveau projet dans lhéritage de leur ex-patronne. Et je leur conseille, en attendant, de potasser plus que sérieusement les livres de recettes : il va leur falloir choisir les plats adéquats puis inventer la manière de les préparer pour quils soient savoureux et chauds à la livraison : il va vous falloir composer avec lindustrie et les processus industriels pour rester dans des marges de prix acceptables par le grand public. Noubliez pas que votre concurrent existe, le surgelé. Cest tout un art ! Danièle est tout feu tout flamme : elle sent quelle va pouvoir donner sa pleine mesure dans ce projet : je réfléchis à lindustrialisation de la gastronomie française depuis des décennies. Je partirai, moi, du produit basique pour arriver au produit fini et non, comme les financiers, de lidée dun produit basique fournie à des ingénieurs de lagro-industrie. Vous verrez la différence, je vous le garantis ! Je ne men préoccupe guère : dès lors que les premiers intéressés sont partants, le projet vivra. Je nai quà assurer sa pérennité, une affaire de finance et de conseils de gestion. Je leur dis simplement quils devront accepter de grossir, cest-à-dire de multiplier les points de vente, donc dorganiser une production carrément industrielle, sils ne veulent pas être laminés par une concurrence qui se multipliera dès lors quils paraîtront réussir. Nous nous séparons sur ces bonnes paroles
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Le notaire ma donné rendez-vous à 9 heures 30. Jy suis, un peu moins inquiet que lavant-veille depuis que Danièle et Clément mont dit, « grosso modo », de quoi était fait le testament. Le jeune-homme-bien-sous-toutes-les-coutûres sest mué en une sorte de majordome un tantinet solennel pour procéder à la lecture des dernières volontés de feu sa cliente. Jai attendu quelques courtes minutes dans un salon cossu, il me fait entrer cérémonieusement dans un bureau lambrissé, pourvu dune table ancienne couverte de documents et de fauteuils Louis XVI gainés de cuir sombre. Il nose me tutoyer : prenez place, je vous en prie Louverture de la grosse enveloppe kraft fait du bruit. Il en sort une liasse de feuillets blancs reliés entre eux par une agrafe. Il tousse pour expectorer je ne sais quoi de sa gorge, respire à fond, descend ses yeux sur les premières lignes et se lance :
Cher ami, quand vous lirez ou plutôt quand maître Maroil vous lira ces lignes, je ne serai plus de ce monde. Jai demandé à Danièle et à Clément dêtre les témoins du testament que je dois laisser derrière moi depuis que vous avez renoncé à mon héritage. Vous aviez parfaitement compris que votre refus me laissait dans lembarras car il me fallait trouver une âme suffisamment trempée pour vous remplacer. Je nen ai plus le temps. Je sais que vous penserez que, puisque jétais certaine, dès lorigine, que vous refuseriez de jouer ce rôle, jaurais pu y songer depuis longtemps : pensez-vous tous les jours que vous pouvez mourir dun instant à lautre ? Non, bien sûr. Jai repoussé cette idée par trop funeste je ne sais combien de fois, jusquà ce quelle simpose bien trop tardivement à moi. Je vais donc vous demander un dernier service, celui de trouver mon successeur. Pour ce faire, je vous donne tous pouvoirs sur mon héritage, y compris celui de le prendre à votre compte si jamais lidée vous en revenait. Maître Maroil devra faire exactement ce que vous lui direz de faire, cette ultime procuration étant totale et définitive.
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Tout ce que je puis faire au moment où je dicte ce testament, est de vous donner quelques conseils. Je sais que vous savez les peser soigneusement Le premier dentre eux est déviter la facilité de la fondation : vous créeriez, ce faisant, les conditions dune gigantesque corruption sans pour autant garantir une gestion efficace de mes biens. Et vous multiplieriez alors vos problèmes puisque vous nauriez plus à trouver un héritier, mais plusieurs administrateurs. Au passage, en outre, lEtat français ferait main basse sur la majeure partie des dits biens alors que la fiscalité de ces derniers a été méticuleusement préparée par mes conseils et maître Maroil. <o:p></o:p>
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Jarrête la lecture pour demander au notaire quelles sont ces dispositions « méticuleuses » qui ont permis à Madame Florin déchapper une ultime fois aux rigueurs de limposition française. Beaucoup déléments, me répondit-il. Dont le principal est lexterritorialité. Sachez que la dame nétait plus française Les explications quil me donne, près de trois quart dheure durant, sont si étonnantes, si simples en plus, que je me refuse à vous les livrer ici : je men voudrais de contribuer ainsi et à une dénationalisation massive des riches français, et à la paupérisation de limpôt le plus indispensable au brassage social. Mais sachez quelles existent bel et bien, dautant plus à la portée du premier venu que la mondialisation est passée dessus. Bref, limmense fortune laissée par ma vieille cliente ne sera pas taxée à 60% par lEtat français mais, du fait des multiples combinaisons prévues, à environ 25% seulement, et par plusieurs états. Soit un peu plus que ce quaurait payé un héritier direct mais nettement moins que ce quaurait dû acquitter un tiers. Aurais-je pris le temps de me préoccuper de ce genre de question avant ma mort, si bien entendu je navais pas eu dhéritier direct ? La vieille dame navait pas trouvé de successeur mais avait organisé une gigantesque défiscalisation de son héritage ! On ne se refait pas Je songeais en même temps aux Etats Unis, plus féroces encore que la France en matière de droits de succession : quauraient fait leurs limiers face aux montages fantastiques de la vieille dame ? Sans doute des années de procès avec, probablement, quelques points gagnés par lEtat hôte sur les dits droits de succession. Mais lexterritorialité des biens restait incontournable. Et Madame Florin avait placé son argent dans le monde entier La garce ! Reprenez, demande-je au notaire
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Le deuxième conseil que je vous donne est de faire vite : si vous tardez à trouver la personne adéquate, le monde entier, en tout cas parmi les gens qui comptent, saura que vous êtes à la recherche de la dite personne. Imaginez les pressions auxquelles vous devrez faire face. Même si je me suis efforcée de toujours minimiser létendue de ma fortune, celle-ci a des aspects beaucoup trop visible pour être ignorée. Sans compter les investissements stratégiques que jai opérés ici et là : les Etats même interviendront !
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Le troisième conseil est relatif à la personne adéquate. Je sais que vous savez maintenant quel type dhumain est capable de gérer une telle fortune. Ce nest pas un enfant de cur mais ce que vous appelez un prédateur quil faut. Et pas nimporte quel prédateur, médiocre « mangeur » posté par hasard à une place juteuse : il faut un vrai carnassier, lui-même créateur de richesses et sachant « manger » aussi les médiocres. Une « bête », si vous voulez, comme je lai été sous mon apparence de faible femme. Pensez quil devra simposer à des banquiers prestigieux, à des PDG aussi retors que puissants, à des politiques aussi voraces que soutenus par une ribambelle de réseaux Maître Maroil, à cet égard, dispose déléments extra-testamentaires quil va vous livrer maintenant, en interrompant sa lecture.<o:p></o:p>
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Je ne suis pas surpris : il faut bien quà un moment ou à un autre surgissent les fameux « documents » que recherchaient, dès le jour de sa mort, tant de policiers Le notaire me confirme donc lexistence de ces documents et me remets une enveloppe cachetée par un sceau de cire. Impressionnant ! Je louvre dun coup sec et prend le feuillet unique quil contient entre deux doigts. Je lis. Le document mindique que Madame Florin possède un compte dans une banque sud américaine. Ce compte comporte outre une importante somme dargent, un « sous compte » gérée par un employé dont le nom est indiqué. Celui-ci est payée intégralement par le compte et doit répondre de jour comme de nuit aux sollicitations du détenteur du compte. Suivent les coordonnées du Monsieur. Je lappelle :
- Vous êtes bien xxx ?
- Oui. Que puis-je faire pour vous ? Je maperçois quil a compris mon français et quil me répond dans cette langue <o:p></o:p>
- Je suis lexécuteur testamentaire de Madame Florin. Je voulais juste savoir comment se passe les transmissions des documents que vous conservez pour son compte <o:p></o:p>
- Il me faut les codes.<o:p></o:p>
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Je regarde de plus près le feuillet et vois trois codes indiqués dans la marge gauche en haut et dans les deux marges du bas. Je les lis à mon correspondant.
- Cest parfait. Je suis autorisé à faire tout ce que vous me demanderez, le troisième code, celui que vous mavez lu en premier, faisant de vous lhéritier de feu notre cliente.
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Je lui demande de me faxer, chez maître Maroil, la liste des documents quil détient. Jen ai pour quelques heures à la dresser, me prévient-il. Nous attendrons Je préviens le notaire, ne voulant pas quitter son bureau et son fax- des yeux, que nous resterons chez lui tant que nous naurons pas réceptionné lenvoi sud-américain. Je mapprête ensuite à écouter la suite du testament quand lhomme de loi me dit que lenveloppe cachetée nest pas le seul élément en sa possession.
- Quest-ce quil y a dautre ?
- Un cahier Il prend le dit cahier à dos carré, épais, sur son bureau et me le tend : lisez <o:p></o:p>
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A ma grande stupéfaction, je vois des séries de paiements, avec les dates et les coordonnées des comptes récepteurs, alignés les uns après les autres. Il y a de tout : des hommes politiques, des journalistes, des écrivains, des inconnus, probablement fonctionnaires (jai repéré le nom dun très haut fonctionnaire dans le tas), des entreprises même. Sur des pages et des pages ! La majorité des banques est située dans des paradis fiscaux mais il y a des indélicats qui nont pris aucune précaution, se faisant payer dans le pays où ils officient. Comme certains de leur impunité Je rends le cahier au notaire : prenez en bien soin. Je suppose que vous avez ici autre chose quun simple coffre ? Nayez crainte, me répond-il. La cachette est inviolable. Je demande à la voir mais il refuse : elle ne serait plus inviolable, mexplique-t-il. Il prend le document et sort. Jen ai pour trois minutes <o:p></o:p>
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Pfffou ! Quel binz ! Cest comme dans une série noire Tout dun coup, je me demande pourquoi cest le notaire qui détient ce cahier scandaleux : serait-ce lui qui le tient à jour ? Je pose la question dès son retour : cest effectivement lui. Quel rôle exact joue-t-il donc dans le montage de la vieille dame ? Je suis un peu son secrétaire particulier, avec la possibilité dauthentifier directement les actes que jaccomplis pour elle. Ou plutôt que jaccomplissais. Il est donc au courant de tout ? De presque tout, rectifie-t-il. Car vous savez que Madame Florin ne faisait que ce quelle voulait. Parfois, certains de ses agissements échappaient à mon intermédiation. Je lui propose une pause autour dun café, pause pendant laquelle il me parlera de ses relations avec la défunte.
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Cest un clerc de notaire. Qui navait quune seule cliente, la dame. Son patron lavait pris entre quatre yeux pour lui confier la mission : vous devrez faire tout, je dis bien tout ce quelle demandera. Elle pourra vous appeler en pleine nuit, vous envoyer à létranger, vous remettre de largent liquide à transmettre à des tiers Tout, absolument tout ! Même tuer si nécessaire ! Japprends ainsi que les seules personnes à navoir aucun droit sur les documents sud américains sont les membres de létude notariale sur laquelle Madame Florin avait jeté son dévolu. Elle devait tenir mon boss par les couilles, cest ce que je me dis depuis le début. Savez vous que jai dû envoyer un enregistrement de votre voix à la banque sud américaine ? Ce pourquoi son représentant ne vous a fait aucune difficulté : il savait que cétait vous Il dispose de même de lenregistrement de toutes nos voix, à jour qui plus est : Madame Florin a dû payer quelquun pour nous surveiller et enregistrer la voix des nouveaux. Pourquoi a-t-il accepté le deal de son patron ? Par intérêt, tiens ! Je suis payé une petite fortune et jacquiers progressivement le capital de létude. La mort de Madame ne marrange dailleurs pas : je ne sais pas comment va se poursuivre ce montage mais je doute que son successeur accepte de rester avec nous. Nous en savons beaucoup trop ! Bah !, poursuit-il, fataliste, je finirai comme associé <o:p></o:p>
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Nous reprenons la lecture :
Voilà, Cher Monsieur, les conseils que je puis vous donner à lheure de ma mort. Jai maintenant quelques demandes à vous faire : je nai rien prévu de spécifique pour ma domesticité, notamment pour Clément et Danièle, mais je sais que vous réparerez aisément cette omission. Je nai pas non plus prévu de don à quelque uvre que ce soit : là encore, je vous laisse seul juge, avec le notaire qui a toujours été de très bon conseil. A son sujet en outre, vous devez absolument assurer la confidentialité de ce quil sait sur mes avoirs et sur mes méthodes. Cest le moment den parler avec lui, sachant que son employeur ne pouvait rien me refuser et ne pourra rien vous refuser. Je suppose immédiatement quil figure dans la liste que doit me faxer le Sud américain. Son clerc arbore à présent un large sourire : je me tais si vous me désignez comme héritier, dit-il pour rigoler. En poursuivant immédiatement : rassurez-vous, je suis comme vous : moi aussi, jaurais refusé. Je tiens à vivre longtemps et tranquillement. Je lui demande si sa cliente lui a fait commettre des horreurs. Vous le dirais-je si cétait le cas ?! Mais en fait, pas vraiment. Beaucoup de choses à la limite de la légalité mais qui seraient passées sans problème devant nimporte quel tribunal. Je le vois réfléchir : avec, quand même, un très bon avocat ! Joubliais en effet les fameux paiements. Notez que je nen ai transmis quune toute petite partie. Pour la plupart, elle me remettait un bout de papier dont je me contentais de recopier le contenu dans le cahier. Un ange passe Que fait-on pour acheter votre silence ?, dis-je en rompant le silence. Vous machetez le reste des actions de létude ! Il lance ça au hasard, sans même y croire. Mais, pourquoi pas ? Jattends cependant, et le lui dis, de savoir ce que son patron a fait pour « ne rien pouvoir me refuser ». Entre temps, nous montons fictivement lopération : il rend tout, cahier et savoir compris, à lhéritier que nous trouverons (je ne vais pas me priver de ses compétences sur ce plan !). Et lhéritier sassure de son silence dune part grâce aux paiements quil a tout de même effectué pour le compte de la légatrice, par une reconnaissance de dettes dautre part : le montant de lachat des parts restantes de létude, dette reconnue non productrice dintérêts et séteignant au bout de trente ans. Le jeune homme se trémousse : il en a envie de pisser de contentement ! Attendez que votre patron accepte, le calme-je. Je ne sais pas encore ce quil a à se reprocher. Allez pisser et reprenons la lecture du testament <o:p></o:p>
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Madame Florin navait en fait plus rien à me dire sur sa fortune. Dont, assez visiblement, elle se contrefichait à lheure de sa mort. Trois conseils pour trouver lhéritier, sa domesticité, des dons aux bonnes uvres si je le voulais bien et le silence de son « âme damnée ». Plus, il est vrai, la transmission de ses moyens de pression sur les puissants. Elle était toujours concise, me précise toutefois le notaire. Son testament ne métonne pas : il ressemble à toutes les consignes quelle me passait par écrit, dailleurs assez rarement : elle préférait le téléphone, sa ligne directe étant sécurisée. De même que ce portable, ajoute-t-il en me montrant fièrement un tout petit objet gris métallisé, dernier cri de la technique communicatrice. Le testament comporte toutefois dautres feuillets quil faut bien lire. Mais il sagit en fait de sa toute dernière intervention dans notre discussion historico philosophique. Dun commun accord, nous repoussons sa lecture à laprès midi. Le juriste veut faire monter des sandwichs, à laméricaine. Je le stoppe net : hors de question! Mangeons « vrai ». Je vous autorise même du vin, et du très bon Nous appelons donc un restaurant coté du quartier, lequel veut bien, contre un coquet supplément, nous faire monter une commande en bonne et due forme : fois gras poêlé en entrée, filet de Saint-pierre en plat principal. Le notaire commande du Sancerre
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Nous en sommes au café quand tombe le fax dAmérique du sud. Nous recherchons dabord le nom du big boss de létude notariale : rien. Nous regardons rapidement les autres mentions de la liste, très longue, avec stupéfaction dabord, crainte ensuite : cest le genre de liste quil vaut mieux ne jamais avoir ne serait-ce quentre aperçu ! Le clerc la prend et va la ranger avec le cahier. Pendant son absence, je décide dinterroger directement le patron de létude : pourquoi ne pouvait-il rien refuser à la vieille dame et pourquoi ne pourra-t-il rien me refuser ? Son clerc, revenu dans son bureau, est moins affirmatif : il ne vous dira jamais pourquoi et, par contre, saura que vous ne savez rien sur lui. Mais nous navons pas dautre choix. Le jeune homme appelle donc son patron qui accepte de me recevoir immédiatement.
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Cest parce que jai une dette énorme envers elle. Mais quoi encore ? Elle a sauvé mon fils Il hésite à en dire plus mais finit par mavouer que le dit fiston avait été pris en Thaïlande avec suffisamment de drogues pour mériter une éventuelle peine de mort. Heureusement, son père avait pu être prévenu immédiatement par des amis, lequel père avait pensé appeler Madame Florin. Le fils avait été relâché le jour même par la police et rapatrié en France dans la foulée. Je lui parle alors du testament et de la phrase curieuse de sa sauveuse. Cest parce quelle me connaît bien : elle sait que je lui serai fidèle jusque dans la tombe, ce qui est le cas actuel. Et dire que nous pensions à je ne sais quel atroce méfait commis par ce père malheureux ! Jexplique alors le problème posé par son clerc. Mais je suis bien entendu daccord pour en faire mon successeur ! Ce nest pas mon fils qui peut y prétendre, le pauvre. Tout au contraire, même, nai-je plus alors à effectuer de recherche dacquéreurs potentiels puisque cest Madame Florin qui finance. Rassurez le de ma part. En lui disant quil na plus que quelques années à attendre : jai bientôt lâge de la retraite et très envie de la prendre. Il est enchanté en fait. Car il sait que je ne serai pas « chien » sur le prix, ny connaissant en outre rien. Je lui demande des nouvelles de son fils : il va de cure de désintoxication en cure de désintoxication. Jai constamment peur de loverdose. Je ne sais plus quoi faire. Sa mère en est malade, réellement : neuroleptiques, séances de psychothérapie et jen passe. Vous comprenez pourquoi jai hâte de me consacrer à 100% à ma famille ! Peut-être arriverai-je alors à recoller au moins quelques morceaux ? Jai dans lidée de les faire tous voyager. Croyez-vous que cela puisse aider ? Je lui parle du « manque » des drogués et des problèmes que cela peut leur poser à létranger Il ny avait pas pensé. Peut-être avec laide dun médecin ?, dis-je pour ne pas couper totalement son élan Je le quitte en songeant quil na pas fini de souffrir.
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Mon clerc de notaire, bientôt notaire tout court, saute de joie : vous voyez que javais raison den pisser presque dans mon pantalon !, dit-il en riant. Je le charge de négocier avec son patron et de mettre en place ce que nous avons convenu. Puis nous retrouvons le testament
Je passe à présent à nos entretiens et veux tout dabord vous remercier de les avoir menés de manière aussi intéressante. In petto, je me dis quelle est bien bonne : il doit y avoir moins de 0,000005% des gens que cela intéresse Peut-être aurais-je le temps daller jusquau bout ? Je ne sais pas : je sens mes forces décliner pour de bon. Un jour ? Deux jours ? Pas plus en tout cas Jen viens donc à mes remarques sur votre conclusion. Ne vous étonnez pas, je vous connais à présent tellement bien que je pourrais dicter la dite conclusion à votre place : vous mauriez parlé encore et toujours de votre ère des grands nombres, synonyme pour vous de lère des gueux. Vous mauriez rappelé la montée en force progressive de cette « piétaille », comme vous le disiez avec, finalement, beaucoup daffection pour la dite piétaille, de la démocratie formelle à lEtat providence avant de passer au marketing : javoue ici avoir été surprise. Jamais je naurais considéré cette technique de gestion des grands groupes comme un conquête sociale si vous ne maviez expliqué que le « regard » sur la société comptait autant. Disons le tout de suite : vous mavez convaincue. Car jai pensé aussi aux Financiers de toujours, oeuvrant dans le secret. Cest aujourdhui bien fini, je suis probablement lune des dernières représentantes de cette espèce. Aujourdhui, les financiers, sicav, fonds de pension et jen passe, sont dune part alimentés par la meute : pas de meute, pas de sicav ni de fonds de pension, et, dautre part, doivent rendre des comptes, publier des bilans, expliquer leurs investissements. Certes, pour reprendre lune de vos expression favorite, tout tourne actuellement autour de la rentabilité, les fameux 15% que vous avez mentionnés à de nombreuses reprises. Mais, entrant dans votre façon de voir les choses, quest-ce qui est le plus important du point de vue de lévolution ? Les 15% qui, conjoncturellement, pèsent sur lemploi en encourageant des délocalisations qui, de toute façon, se seraient faites un jour ou lautre, ou bien le fait que les Financiers modernes doivent expliquer leur gestion au bon peuple ? Je nai plus le temps par ailleurs de demander à mes conseils deffectuer des recherches. <o:p></o:p>
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Je fais un signe au notaire qui arrête sa lecture : vous consultait-elle sur mes exposés ? Bien entendu ! Maître Maroil était au courant de tout, jour après jour. Elle payait aussi un cabinet spécialisé, du genre « SVP », qui vérifiait vos affirmations quasiment en continu Ce nétait plus des entretiens mais une conférence ! Je la vois me dire : si vous aviez su, vous vous seriez retenu Je demande au notaire de poursuivre.
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Mais je suis certaine que, contrairement aux idées reçues, les riches daujourdhui sont plus « dilués » dans la masse que sous lAncien régime. Il y en a plus dabord et ils possèdent moins de part du patrimoine que leurs prédécesseurs. Même si, depuis effectivement une trentaine dannée, nous, les riches, avons recreusé quelque peu un écart qui se comblait auparavant à toute vitesse. Quest-ce quune Réaction, avec un grand « R », de quelques décennies face à une évolution constante depuis des siècles ? <o:p></o:p>
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Je vous aurais donc approuvé, Cher ami. Ou, plutôt et dans mon état, me serais-je abstenue dintervenir. Peut-être vous aurais-je seulement susurré à loreille une demande dexplication sur vos lois des grands nombres dont je ne comprends pas très bien les tenants et les aboutissants : expliquez les à maître Maroil qui donnera lenregistrement à Clément et Danièle.<o:p></o:p>
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Jexplique immédiatement au notaire quil ne sagit pas de « lois », en tout cas dans létat actuel de nos connaissances sociales, mais dune « ère des grands nombres », ère dans laquelle les phénomènes de masse lemportent inexorablement sur la volonté des individus. Prenez le cas du marketing, cas souligné par Madame Florin : il a transformé le luxe, le « haut de gamme », en simple laboratoire des produits de grande diffusion. Ce, en quelques décennies. Alors que, des siècles durant, toute lindustrie humaine était tournée vers la satisfaction des besoins des seules élites, le plus petit nombre Et dire que les élites, les « happy few », nont même pas conscience dêtre devenus des sortes de cobayes ! Ils payent, eux, le prix fort, donc la recherche-développement des fabricants, avant que ce quils ont acheté ne soit produit à bas prix en grande série. Tout au contraire ont-ils, de leur côté, exacerbé laspect « happy few » : ils jettent leur jouet devenu « vulgaire » et rempilent pour un nouveau gadget. Ils sont plus encore que les « gueux » victime de la publicité, CQFD ! <o:p></o:p>
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Mes dires ne plaisent guère à lhomme de loi que je soupçonne immédiatement de sadonner au « shoping » à outrance : jai bien envie de ne pas payer lintégralité des parts du cabinet, lui dis-je. Pourquoi ? Il na pas peur, il est sincèrement étonné. Pour vous obliger à économiser et, ce faisant, à moins dépenser en conneries en tous genres Il comprend mon intervention et rigole : vous avez vu que je désapprouvais le fait que vous me preniez pour un cobaye ignorant de lêtre ! Mais, après réflexion, ça ne me dérange pas : nous sommes des centaines de millions, des milliards peut-être ?, à nous complaire dans la société de consommation. Laquelle a parfaitement apprivoisé notre propension naturelle à vouloir nous démarquer de la masse Cest à mon tour de rire. Il men demande la raison : vous me faites penser à un enfant qui veut absolument avoir un jean ou des chaussette de telle marque pour ressembler aux autres. Alors que si vous réintroduisiez luniforme à lécole, il serait le premier à défiler dans la rue ! Le notaire mexplique que, lui, cest tout le contraire. Je lui coupe le sifflet : pour le gosse aussi, cest tout le contraire : il ne veut pas de luniforme. Sauf que sa « liberté » en la matière lamène très vite à rentrer dans un système duniformes. Et sauf que ce nouveau système, lui, est fermé aux pauvres : le nouvel uniforme coûte beaucoup trop cher Pas daccord et de moins en moins content, le juriste ! Il mexplique les modes chez les gosses, quil ny en a pas quune seule mais plusieurs, que ces modes permettent aux gamins dexprimer très tôt leur « moi profond » Je larrête résolument : nous aussi avons connu ce genre dexpression. Le « no futur » des punks vêtus de noir de la tête aux pieds, par exemple. Ou bien le genre « amoureux fou », mini jupes et tutti quanti. Permettez moi dêtre quand même sceptique : quest-ce qui compte le plus dans ces comportements ? La réflexion ou le quen dira-t-on ? Ce sont déjà des petits vieux, plus soucieux de leur image que du contenu encore léger de leur cerveau. Triste ! « Vieux con ! », semble penser le notaire qui me regarde à cet instant sans aménité aucune. Un ange passe Je décide de prendre un autre exemple pour ramener la paix : abandonnons les sujets qui fâchent. Si nous prenions lexemple du contrôle de linformation en amont, cette terrible auto censure de linformation qui sévit aujourdhui dans la plus grande partie du monde occidental ? Rasséréné, mon vis-à-vis acquiesce. Je poursuis donc : ma « loi » des grands nombres est simple ici : cest le boycott non programmé mais terriblement prégnant des moyens dinformation par le grand public. Boycott qui va forcer les médias, du moins leurs propriétaires, à revoir leur copie de fond en comble. Le phénomène a déjà commencé en France où les « gueux », tout au contraire des élites, paraissent décidément toujours en avance sur le reste du monde : Libération a dû se vendre à un Rothschild, fallait le faire ! Le Monde sest, lui, mis entre les mains de lempire Lagardère, fallait aussi le faire. France Inter, un temps en tête des radios généralistes de notre pays, se retrouve en queue de peloton, au même niveau quEurope N°1 dans laquelle, dailleurs, le propriétaire taille et retaille à grands coups de remplacement dhommes dits « clé ». Même TF1 recule, cest dire ! Tous nos moyens dinformation sont affectés et les journalistes ont aujourdhui une réputation à peu près au même niveau que celle des hommes politiques et des juges. <o:p></o:p>
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Je vois que, cette fois-ci, le clerc de notaire est daccord : il naime pas les journalistes aussi apprécie-t-il ma diatribe. Vous avez compris le truc des grands nombres ?, linterroge-je toutefois. Pas vraiment : il a perdu le boycott au fil de mon exposé Je lui explique donc que les masses, le grand nombre, peuvent ne pas aimer la merde. Que lhomme en général ne laime pas. Et quen dépit de la volonté farouche de la majeure partie des élites françaises de verrouiller linformation, celle-ci finira par lemporter faute de médias verrouilleurs. Mais les titres que vous mavez cités continuent à paraître ou à émettre, mobjecte maître Maroil. Combien de temps croyez vous que leurs sponsors accepteront de combler les trous ?, lui rétorque-je. Combien de temps Madame Florin laurait accepté, ajoute-je. Il sexclame : certainement pas deux années daffilée ! Sans compter, lui explique-je, linévitable concurrence : face à la dégringolade dune offre de plus en plus médiocre, de nouvelles offres se lèvent inévitablement. Pour linstant, ce sont les gratuits pour la presse écrite et Internet pour tout. Je lui raconte alors comment, dès années durant, jai pu bénéficier gratuitement des informations de lAFP : dabord, via des sites africains abonnés qui donnaient accès aux info de lagence de presse. Puis via AOL. Jusquà ce que ces « sources » aussi se tarissent. Mais je suis confiant : dune manière ou dune autre, je retrouverai un accès gratuit à des info de qualité. Au pire, je mabonnerai au Financial Times, lun des derniers journaux crédibles et exhaustifs. Au mieux, un journal francophone de qualité verra le jour, sur Internet ou sur papier. <o:p></o:p>
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Jai une idée, tout à coup : et si je donnais cet objectif comme condition à lhéritage de Madame Florin ? Après tout, cest moi et moi seul qui doit trouver la perle rare, ce requin capable de ne pas être écrasé par lEstablishment. Jai tous les pouvoirs Sans compter que je vais aussi mettre dans la corbeille la livraison à domicile de pot au feux et autres plats mijotés, ainsi que le rachat du cabinet notarial au profit du jeune clerc. Pourquoi pas la mise à disposition du grand public, cest-à-dire gratuitement ou à bas prix, dune source dinformations « haut de gamme », habituellement réservés aux élites ? Du coup, jai hâte den finir avec le testament. Lisez, maître, lisez !<o:p></o:p>
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Il y a bien plusieurs points de vos exposés qui mont laissée rêveuse voire sceptique. Tel votre pessimisme, finalement, sur le devenir de la civilisation occidentale, « bouffée de lintérieur comme de lextérieur » par nos anciennes colonies et vassaux. Jai longtemps ressassé vos dires, notamment démographiques : ils paraissent imparables et, pourtant, jai du mal à admettre que dans moins dun demi siècle, le « Chrétien blanc » ne dominera plus le monde. Jaurais pu le concevoir dans un futur lointain, très lointain, mais savoir cette évolution déjà largement entamée mest presque insupportable. Telle aussi votre hargne anti-élitiste : il me semble ici que vous confondez élites et aristocratie Jarrête la lecture pour préciser au notaire quen loccurrence, les termes aristocratie et gouvernement des élites signifient pratiquement la même chose. Ce nest pas ce que veut dire Madame Florin, se permet lhomme de loi. Sans doute se réfère-t-elle à la période davant la Révolution française, assimilant aristocratie et noblesse. « Donc transmission par la naissance et non élévation par le mérite », poursuis-je. Cela colle à peu près à ce quelle pensait des élites. Jusquau bout, elle sest donc refusée à mettre lélitisme en question. Elle naura donc jamais conçu de monde sans dirigeants et sans dirigés. Peut-être le concept allait-il trop loin pour cette indiscutable élite financière de notre époque ? A la veille de sa mort quasi programmée, elle avait réussi déjà à ne plus placer largent en tête de ses valeurs. Avec un peu plus de temps, peut-être aurais-je réussi à lui faire comprendre que le recentrage, quelle avait bel et bien opéré, dinvestissements vers des activités profitant au plus grand nombre, avait plus de valeur que sa place au sein de la société. Même si le profit seul avait été sa principale motivation
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Mais peu importe : il me semble, au moment où je dicte ce testament, que vous avez accompli la tâche que je vous avais assignée, celle de me procurer un peu de « supplément dâme » au moment de me présenter devant notre créateur. Jai un petit doute à cet égard : me sera-t-il reproché davoir aussi acheté ce supplément dâme ? La réponse, me semble-t-il toujours, vous appartient : vous avez encore la possibilité daccepter mon héritage et, dans ce cas, lacte dachat sera consommé. Dans le cas contraire, je crois sincèrement à ma rémission. La salope ! Dune part elle a voulu me tenter jusquau bout, de lautre elle charge mes épaules bien trop frêles à cet égard du fardeau de la juger « post mortem ». Le choix est en plus évident : si jaccepte lhéritage, elle va en enfer et moi aussi. Lenfer commençant en outre et pour moi de mon vivant Je ne peux donc que labsoudre en refusant une dernière fois son cadeau empoisonné et elle le savait en dictant cette phrase. Donc elle nétait pas une salope puisque sa proposition nétait, finalement, quune clause de style Il est temps que cela se termine : il ny a dailleurs plus dautre feuillet entre les mains du notaire. Madame Florin finissait en assurant la terre entière de sa future compassion de bienheureuse et remerciait « tous ceux qui mont aidé à vivre ». Manière dentrer aussi dans le monde des dits aides qui avaient eu lheure de disparaître avant elle. Sy trouvaient son regretté fils, certes, mais ses neufs maris et, sans doute, une cohorte bigarrée de victimes et de bénéficiaires de ses investissements que devaient importuner en outre quelques âmes délites toujours oppressées par les menaces dune dame que javais vu savoir être cruelle jusquà lorée de sa mort.
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Il est temps de parler du successeur, dis-je au clerc. Je sens que vous nallez pas beaucoup dormir les prochaines nuits. Ma détermination est à présent totale : je sais qui je cherche et létude notariale va devoir mettre les bouchées doubles pour donner un nom à lhériter parfait tel que je me le représente : une sorte de Bernard Tapie, soit un vrai squale sorti du rang et ayant donc fait ses armes plutôt sur le trottoir quà lENA, marié et, qui plus est, père de nombreux enfants : la plaisanterie a assez duré et le fabuleux héritage de dame Géraldine doit impérativement être morcelé au décès de lhéritier unique que je vais retenir parmi les futures propositions du notaire. Je ne moublie pas complètement dans le processus : jajoute au « panier » un don à mon égard, suffisant pour que je puisse vivre correctement de mes rentes jusquà ma mort (mais pas des « rentes de mes rentes », Dieu men préserve !). Lequel Dieu estimera peut-être que, ce faisant, jai été effectivement « acheté » par la vieille dame ? Je lui refile en tout cas le bébé, très content de rendre à la milliardaire défunte la monnaie de sa pièce. Il me semble que, là haut, elle rigole
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